De plus en plus de startups se créent dans le secteur de la fintech en Afrique et la plupart d’entre elles caressent l’objectif inavoué de profiter de l’industrie naissante du paiement mobile sur le continent africain. Le phénomène est semble-t-il intéressant à bien des égards car le problèmes de l’inclusion financière est un classique en Afrique subsaharienne, où le taux de bancarisation pure reste l’un des taux régionaux les plus faibles.
Tandis que la première licorne africaine vient du monde du paiement mobile, analyser les réactions des banques face à la disruption de leur activité et les tensions liées à l’émergence de nouveaux acteurs financiers révèle qu’aucun secteur de l’activité humaine n’échappera à la transformation digitale.
Une des nouvelles dernières en date publiée dans le média en ligne AgenceEcofin a accéléré la sortie de billets dont la gestation n’avait d’ailleurs que trop duré: BGFIBank lance cette semaine au Gabon un nouveau service dénommée BGFITime qui a pour vocation de maintenir ouvertes les agences jusqu’à 20h en semaine ouvrable et jusqu’à 17h les samedis.
Deux mois auparavant, la Société Générale en Afrique, qui dispose du meilleur système d’information bancaire sur le continent, a organisé en collaboration avec Jokkolabs ses Innovdays sous le format d’un hackaton portant sur le thème :« Réinventons l’expérience client en Agence », tandis que chaque jour, les grandes banques du continent étoffent ou lancent leur service de banque mobile pour faciliter leurs interactions avec leurs clients.
A première vue, ces différentes expériences peuvent laisser transparaître une volonté d’adaptation des banques à leur environnement devenu de plus en plus concurrentiel et à la demande d’une classe moyenne croissante de services bancaires plus adaptés à leurs contraintes : manque de temps, besoin d’automatisation, horaires professionnels de plus en plus flexibles.
Ces évolutions présentées comme des projets ambitieux sont, à y regarder de plus près, comparables au dernier soubresaut d’un agonisant. S’il est vrai que les banques tentent de résister vaille que vaille à la disruption qu’apporte dans leurs métiers les innovations technologiques que sont la monnaie mobile, le blockchain et les différentes startups qui prennent essor sur le continent, il semble également vrai que ces pseudo-projets innovants dénotent d’un certain refus de l’innovation.
Les derniers chiffres produits par la GSM Association sur l’industrie de la monnaie mobile en Afrique et dans le monde en 2015 révèlent des faits troublants mais à la fois révélateurs de la perte de terrain du lobby bancaire face à des acteurs d’un type nouveau que sont les telcos et les fintech startups. Selon cette étude,
- Les services de mobile money sont désormais disponibles dans 93 pays au monde à travers 271 offres de service,
- 85% des pays classés comme ayant les taux de bancarisation les plus bas au monde ont désormais une offre de mobile money
- 100 millions de nouveaux comptes mobile money ont été créé en 2015 en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, soit 25% de la totalité des comptes de Mobile money existants sur la planète
- En 2015, 51 de ces 93 pays se sont dotés d’un cadre de régulation des services de mobile money
- Les services de Mobile Money ont connu une croissance du nombre de leurs souscripteurs d’environ 31% de L’année 2014 à la fin de l’année 2015 soit une acquisition d’environ 411 millions de nouveaux abonnés
et de manière plus frappante:
- Il existe 19 marchés émergents sur lesquels il existe aujourd’hui plus de comptes d’argent mobile que de comptes bancaires et l’on peut désormais compter plus de 37 marchés émergents au monde dans lesquels le nombre d’agence de mobile money dépassent d’un rapport de 10 pour 1 le nombre d’agences bancaires.
Si ces chiffres n’expriment pas pour le commun des mortels une réalité tangible, il est une information passée inaperçue qui devrait un peu plus attirer notre attention: Le Botswana est désormais le premier pays au monde en terme d’adoption du mobile money. L’argent mobile représente désormais environ 45% de la masse monétaire en circulation dans l’économie botswanaise. A la même heure, l’Afrique de l’Ouest (zone qui connait l’un des taux de bancarisation les plus faibles au monde) connaît deux fois plus de croissance du nombre d’agents mobile money actifs que dans n’importe quelle autre région au monde.
Que veulent dire ces chiffres en français facile?
Les différents chiffres ci – dessus traduisent surtout une réalité que de plus en plus d’experts s’accordent à affirmer: celui de la réussite des telcos là où l’échec des banques à faire avancer la bancarisation et à apporter plus de de sécurité financière via une meilleure inclusion aux populations est aisément remarquable. De plus en plus de populations utilisent le mobile money pour avoir accès aux services financiers de base que sont l’épargne et le crédit ainsi que pour l’achat de biens et de services tels que le paiement de factures, l’achat de biens à distance etc. La GSMA affirme d’ailleurs que » Les services de portefeuille mobile ont plus contribué à l’inclusion financière des populations durant les dix dernières années que n’ont réussi à le faire en cent ans, les banques traditionnelles ».
» Mobile money has done more to extend the reach of financial services in the last decade than traditional “bricks and mortar” banking has in the last century ».
Un fait poignant est le marqueur de cet accomplissement spectaculaire : En Afrique de l’Ouest, il existe désormais plus de comptes Mobile Money que de comptes bancaires classiques et près de la moitié (47,3%) des détenteurs de ces comptes vivent désormais en zone rurale.
Les investisseurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompé : Selon Disrupt-Africa qui a réalisé en 2015 la première étude sur le financement des startups en Afrique, les startups dans la fintech arrive en deuxième position dans le classement des domaines ayant le plus bénéficié de levée de fonds alors que la startup Interswitch offrant des solutions de paiement digital et mobile au Nigeria sera bientôt la première licorne africaine.
L’on peut légitimement se demander si cette révolution accomplira définitivement la transition du continent des espèces sonnantes et trébuchantes vers la monnaie mobile.
Si l’exemple du Botswana n’apporte pas un début de réponse aux observateurs avertis, et si les banques ont jusque là compter sur les Etats, les banques centrales et le lobby bancaire pour ralentir la progression de l’argent mobile, les nouvelles perspectives liées à la perspective d’un impôt quasi universel, facilement prélevable représentent un élément tout à fait nouveau qui pourrait radicalement changer la perception que les autorités publiques peuvent avoir du Mobile Money.
L’impôt universel, l’argument ultime du Mobile Money
En effet, la quasi traçabilité des opérations d’argent mobile dans un contexte où l’amour de la monnaie fiduciaire favorise le développement de l’informel , est un facteur déterminant qui permettra aux autorités d’apprécier les revenus des citoyens et d’appliquer un impôt plus juste et quasi-universel. Cette perspective d’un impôt plus juste, plus universel, facilement prélevable représente l’élément déterminant qui pourrait entraîner la généralisation de l’argent mobile et le comportement des pouvoirs publics vis à vis des opérateurs de télécommunications.
Certaines mesures telles l’identifiant unique de l’abonné, le numéro itinérant et la mise en place d’une régulation nationale de l’argent mobile sont autant de prémices que d’ éléments d’architecture de l’inflexion des pouvoirs publics en direction d’une généralisation de l’argent mobile.
L’ubiquité du téléphone mobile, les taux de couverture hallucinants des opérateurs de réseaux cellulaires dans les pays du Sud et les marges de progression de la pénétration du téléphone cellulaire, l’érection par la Banque Africaine de Développement d’un Fonds dédié à la Finance Digitale semblent être des arguments de poids pour prédire des jours prometteurs aux services Mobile Money et au possible un tremplin à la généralisation du Mobile Money.
Quel avenir pour les banques?
Si la plupart des offres de monnaie mobile sont aujourd’hui conçues par les telcos en collaboration avec une banque ou un établissement financier (en raison du risque d’illiquidité et du fait que le fait de collecter de l’argent auprès du grand public reste une activité comparable à une « collecte de dépôts »), cet état de fait est désormais appelé à changer. L’octroi récent aux opérateurs télécoms de licences d’Emetteurs de Monnaie Électronique E.M.E par les banques centrales en Afrique et la liberté de s’affranchir des opérateurs bancaires pour la mise en service d’offres de mobile money, ouvrent aux opérateurs télécoms de nouvelles perspectives en matière de services financiers: flexibilité pour le développement de nouveaux services, placements financiers, opérations de crédit…Les opérateurs télecoms ne s’y sont d’ailleurs pas trompé. Orange est le premier opérateur de réseau cellulaire à acquérir pour ses filiales sénégalaises, maliennes, ivoiriennes et guinéennes la licence d’E.M.E et d’autres mastodontes du secteur devrait bientôt suivre.
Une éventuelle politique de généralisation du Mobile Money et l’acquisition de licence d’E.M.E par les opérateurs télécoms devraient pousser dans un futur proche les banquiers à repenser profondément la nature même de leurs activités : la chute du nombre d’opérations de retrait et de dépôt entraînerait systématiquement une remise en cause du modèle de la banque de détail due à une baisse drastique de la fréquentation des agences, remettant en cause le modèle d’architecture et d’organisation de la banque ainsi que le modèle de déploiement des agences bancaires. S’il est présomptueux de penser que les opérateurs de paiement mobile ne remplaceront pas totalement les banques, il est cependant aisé de deviner que celles ci devront sérieusement envisager de se concentrer sur leurs activités d’échanges de titres, de dépôts pour les gros donneurs d’ordre et les grands comptes, la gestion d’actifs, la fourniture de garanties bancaires pour les opérations de commerce internationale pour ne citer que ces opérations là.
Il semble à bien des égards et au vu des statistiques, illusoire de penser que les mesurettes telles l’hyperdigitalisation de la banque comme le pense la Société Générale ou l’ouverture de nouveaux créneaux horaires pour la BGFI suffiront à contrer le vent de la disruption bancaire. Il est des événements auxquels il ne faut point résister et qu’il vaut mieux accompagner : au nombre de ceux là se compte la révolution numérique.
La transformation digitale de la banque est en marche. Messieurs les banquiers, vous êtes avertis!